Auteur
Lamboni
Mateyedou
Directeurs de thèse
Alain Gagnon, Chris Beauchemin
Jury(s)
Gagnon Alain, Beauchemin Cris
La migration internationale est souvent considérée comme un mouvement unique et unidirectionnel d’un pays d’origine vers un pays d’accueil. À l’encontre de cette vision unidirectionnelle des migrations, cette thèse s’intéresse à l’articulation entre les migrations temporaires et celles de longues durées, dans le contexte des migrations entre l’Afrique et l’Europe. Plus spécifiquement, elle s’intéresse aux facteurs, individuels et contextuels, qui expliquent que des déplacements supposés limités dans le temps (dits temporaires) se transforment en séjours de longues durées. Dans cette recherche, les déplacements temporaires sont abordés de deux points de vue : celui de la durée et celui du droit. Dans un cas [1er article empirique], il s’agit d’étudier dans quelle mesure et pour quelles raisons des séjours ponctuels (d’une durée inférieure à un an) deviennent les précurseurs d’une installation durable en Europe (pour une durée d’un an au moins). Dans l’autre cas [2ème et 3ème articles empiriques], il s’agit d’étudier comment et pourquoi des séjours conçus comme temporaires du point de vue légal (cas où les migrants ont un droit de séjour non permanent) se transforment en séjours durables irréguliers. La thèse adopte une approche comparative qui permet de s’intéresser aux effets de contexte à la fois dans trois pays africains d’origine (République Démocratique du Congo, Ghana et Sénégal) et dans six pays européens de destination (Belgique, Royaume-Uni, Pays-Bas, France, Italie et Espagne), avec une attention particulière pour les changements de politiques migratoires. Elle tire parti de trois bases de données internationales : d’une part, les données biographiques individuelles du projet MAFE (Migrations entre l’Afrique et l’Europe) et, d’autre part, de deux bases de données contextuelles qui contiennent une description codée des changements de politiques migratoires des projets « Immigration Policy » et « Temporary vs permanent migration », et du projet « Determinants of International Migration : A Theoretical and Empirical Assessment of Policy, Origin and Destination Effects » (DEMIG). Les méthodes statistiques utilisées sont, d’une part, les statistiques descriptives, notamment les courbes de Kaplan-Meier et les méthodes d’analyses bivariées et, d’autre part, les modèles explicatifs, en particulier les modèles de risque et de durée en temps discrets et le modèle logit. Dans le premier article, il ressort que le séjour de courte durée a un effet positif sur la migration de longue durée pour les trois flux subsahariens considérés, bien que cet effet soit beaucoup plus important pour les Congolais que les Ghanéens et les Sénégalais. L’effet d’une migration de court séjour dépend par ailleurs de la période pour les migrants congolais, alors que cette interaction n’est pas significative pour les migrants sénégalais et les migrants ghanéens, ce qui indique non seulement le contexte du pays d’origine module l’effet du court séjour sur la migration durable, mais aussi la variation du contexte dans le temps au sein d’un même pays d’origine peut modifier la relation entre le séjour de courte durée et la migration de longue durée. En outre, on note que le niveau d’éducation, la possession de terrain et de maison, le chômage dans le pays d’origine, les réseaux sociaux et les études en Europe semblent favoriser la relation entre les séjours court et long, mais l’activité économique et l’emploi dans les pays d’origine semblent avoir un effet contraire. Le deuxième article a révélé que le risque d’être en situation irrégulière était accru dans les périodes où les politiques migratoires devenaient de plus en plus strictes. L’influence de la période d’entrée est très claire pour les migrants ghanéens et sénégalais, mais le risque d’être en situation irrégulière a diminué dans les années 1990 et les années 2000 chez les migrants congolais, ce qui semble indiquer que les migrants issus d’un pays en conflit bénéficient d’une certaine protection face à l’irrégularité. Le risque d’être en situation irrégulière est plus élevé dans les pays d’immigration récents (l’Italie et l’Espagne) que dans les pays d’immigration traditionnels (France et Royaume-Uni). L’irrégularité dépend également des caractéristiques individuelles et des circonstances de départ pour l’Europe. Le troisième article a révélé, de manière inattendue, que seules les politiques destinées à limiter les entrées semblent avoir un effet significatif sur la transition vers l’irrégularité des migrants sénégalais déjà entrés légalement en France, en Italie et en Espagne. Ce résultat suggère que lorsque les politiques visant à contrôler les entrées se durcissent, les migrants n’osent plus sortir par peur de ne plus être capables de rentrer à nouveau. D’autres éléments contextuels influencent aussi l’irrégularité des migrants : un effet négatif de la croissance annuelle du PIB du Sénégal sur la transition vers l’irrégularité (les immigrants choisiraient de retourner au pays pour y travailler, évitant ainsi l’irrégularité), mais un effet positif de la croissance annuelle du PIB du pays d’accueil sur la transition vers l’irrégularité (ils y resteraient pour profiter de la croissance malgré l’irrégularité).